Epiphanie
d'un « extrait de naissance » aux hypothèses « en toute vraisemblance »
Prenant sa source dans l'Évangile selon Matthieu (2.1-12), cet énigmatique « extrait de naissance » relatant la visite des mages pour adorer l'enfant Jésus à Bethlehem, a suscité bien des hypothèses, dans le pagano-christianisme naissant des premiers siècles.
Cet épisode de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, lors de cette rencontre avec les mages, prit le nom « d'Épiphanie » qui signifie en grec : épi (sur) et phainein (apparaître).
Mais l'utilisation de ce mot est antérieure au christianisme. En effet les « Épiphanes » sont des croyances païennes de la culture grecque, où des divinités apparaissaient aux hommes, comme Zeus, Athéna, Hermès, Héra, Poséidon, Déméter, Héphaïstos, Aphrodite, Arès, Artémis, Hestia, Dionysos, Apollon.
Avec les Romains, cette fête de l'Épiphanie importée des « Épiphanes » grecques va s'intégrer au calendrier romain durant une période qui variera quelque peu au gré des empereurs romains et se situera du 22 décembre au 6 janvier lors du solstice d'hiver, en prenant le nom de « Saturnales ». C'est la période dite du « règne de Saturne » où durant ces jours, tous « fêtent les jours de liberté d'un monde à l'envers ».
En effet, la hiérarchie sociale et la logique des choses peuvent être critiquées sinon brocardées et parodiées entre le « maître » et l'« esclave ». Et déjà, lors des réjouissances, les soldats tiraient au sort, grâce à un gâteau contenant une fève, un condamné à mort qui pour l'occasion devenait « roi » le temps des réjouissances et une fois les Saturnales achevées, la sentence était exécutée ; ou encore toujours avec gâteau et fève, un roi était élu parmi les jeunes soldats, et celui-ci pouvait commander tout ce qui lui plaisait durant cette même période.
Avec l'avènement de Constantin, tout va rentrer dans l'ordre quand celui-ci va faire du « christianisme » la religion officielle de l'Empire Romain et nous pouvons dire que les « Saturnales » vont être « recyclées » en traditions pagano-chrétiennes.
Apparition ou manifestation ou révélation, voire aussi rencontre entre tout homme et Dieu au travers de Jésus-Christ, par l'Évangile... oui mais :
- Oui mais... il y a cet épisode des mages selon ce que dit Matthieu ?
- Oui mais il y a l'ouverture à tous les peuples dits « païens » couvrant la surface de la terre, qui peuvent en se tournant vers Jésus-Christ, bénéficier de la grâce et de la miséricorde de Dieu selon ce qu'a annoncé le prophète Esaïe ?
- Oui mais voilà... le témoignage évangélique irrévocable et humble est trop simple, il lui manque bien des détails supplémentaires ! Aussi faudrait-il y ajouter des traditions... des hypothèses... « en toute vraisemblance »...
Et c'est ainsi que le pagano-christianisme va dénaturer ou surajouter des éléments qui ne sont pas dans l'Écriture ?
Voyons cela de plus près !
Déjà au IIème siècle, plusieurs interrogations vont faire surface : bergers et mages s'étaient-ils rencontrés ? Cette « visite » avait-elle eu lieu après la purification de Marie et la présentation de Jésus au Temple ? Quelle avait été la route empruntée par les mages ? Certes, ils arrivaient de ces pays « au-delà du fleuve », c'est-à-dire l'Euphrate, mais était-ce par le sud ou le nord ? Grande différence, car leurs connaissances en astronomie et astrologie n'étaient pas les mêmes à cause du Zarathoustra. Bref, on opta pour le sud, avec l'accord d'Origène, Justin, Epiphane, trois théologiens pères de l'Eglise naissante.
- Interrogation importante : leur nombre ?
Églises syriennes et arméniennes en décidèrent douze, comme tribus d'Israël et apôtres du Christ. Avec Origène il faut une autre symbolique : trois, qui représente les trois fils de Noé, mais aussi donc les trois peuples issus de la Genèse et l'humanité tout entière. Trois continents sont alors connus : l’Asie, l’Afrique et l’Europe.
- Etaient-ils rois ?
Il semble que ce soit Tertullien (160-230) qui a été le premier à faire de ces trois mages des rois, selon l'interprétation qu'il a faite de :
Psaume 68.30 : "De ton temple tu règnes sur Jérusalem ; les rois t'apporteront des présents".
Psaume 72.10-11 : "Les rois de Tarsis et des îles paieront des tributs, les rois de Séba et de Saba offriront des présents. Tous les rois se prosterneront devant lui, Toutes les nations le serviront.
Esaïe 60.3 : "Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever"
Ainsi « ces mages deviennent des rois » ! C'est ce que confirmera un "ancien" de l'abbaye de Lérins Césaire d’Arles au VIème siècle.
On cherche alors à différencier l'idée de simples magiciens-savants par l'appellation « rois mages ». Ces trois rois-mages vont devenir légendes royales à travers tout le pagano-christianisme : Melchior sera roi des Perses, Balthazar roi de l’Inde, et Gaspard roi d’Arabie (peut-être allusion lointaine aux psaumes cités).
Ajoutons que pour certains le prénom Melchior serait une allusion déguisée à Melchisédech, roi de Salem (Genèse 14.17-24) ?
Le fait qu’ils soient porteurs de trois riches présents va faire qu'ils seront accompagnés d’une suite liée au cérémonial des ambassades, qui prévoyait l’hommage des puissants aux nouveaux rois.
- Les prénoms des rois-mages ?
C'est au IVème siècle, selon le « liber pontificatif de Ravenne », que nos « trois mages » prendront les noms de Gaspard, Balthazar et Melchior !
- La dépouille des rois-mages ?
Avec l’empereur Constantin, c'est dans l'empire de Byzance et surtout en Terre Sainte, la recherche de reliques. Sainte-Hélène sa mère, fera retrouver les trois dépouilles des mages !... Elles seront transportées et vénérées à Constantinople, puis transférées à Milan jusqu'en 1164, date à laquelle Frédéric Barberousse ravagea et pilla cette ville. Elles réapparaîtront à Cologne. Quant à leur « couronnement », il eut lieu au XIIème siècle, à Cologne, peut-être lors de l'édification de la cathédrale ?
- L'or, l'encens et la myrrhe ?
L'interprétation la plus concrète dans l'imagination populaire du pagano-christianisme provient de Saint Bernard, selon laquelle pour lui : l’or est une aide qui a soulagé la pauvreté de Joseph et Marie, l’encens a permis de parfumer l’air de l’étable, et la myrrhe a été une plante médicinale qui a servi aux soins donnés à l’enfant Jésus.
Ainsi sont donc retracées les multiples hypothèses « en toute vraisemblance » qui font parties des traditions de l'Epiphanie en ce début janvier chaque année. Et ces traditions sont toujours à ce jour des « Saturnales » recyclées en pagano-christianisme.
« Saturnales » recyclées en pagano-christianisme et foi en Jésus-Christ dans tout ça ?
En préparant cette réflexion, deux textes bibliques me sont venus à l'esprit.
- Le premier se trouve dans l'évangile selon Matthieu 15.6-9 , où Jésus reprend un passage du prophète Esaïe 29.13 en disant alors : Vous annulez ainsi la parole de Dieu au profit de votre tradition. Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé sur vous, quand il a dit : Ce peuple m'honore des lèvres, Mais son coeur est éloigné de moi. C'est en vain qu'ils m'honorent, en enseignant des préceptes qui sont des commandements d'hommes.
C'est vrai que ces paroles de Jésus sont tout aussi dérangeantes dans le pagano-christianisme qu'elles ne l'ont été pour les pharisiens de l'époque. Question alors : cette tradition de l'Epiphanie dans le pagano-christianisme nous rapproche-t-elle aujourd'hui plus ou moins de Dieu ? Faut-il alors interdire toute dégustation conviviale de galette ou couronne de Rois ? Est-ce que par motif de conscience je vais condamner cette tradition du pagano-christianisme ? Cela s'apparente-t-il à « un aliment sacrifié aux idoles » pour paraphraser l'apôtre Paul en 1 Corinthiens 8.4-9 ?
- Ecoutons ce que dit ce deuxième texte biblique sur l'attitude à avoir en ce qui concerne « une viande sacrifié aux idoles » et « un aliment sacrifié aux idoles », c'est du pareil au même : Pour ce qui est donc de manger des aliments sacrifiés aux idoles, nous savons qu'il n'y a point d'idole dans le monde, et qu'il n'y a qu'un seul Dieu. Car, s'il est des êtres qui sont appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, comme il existe réellement plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins pour nous il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes. Mais cette connaissance n'est pas chez tous. Quelques-uns, d'après la manière dont ils envisagent encore l'idole, mangent de ces galettes ou des couronnes de rois comme étant sacrifiées aux idoles, et leur conscience, qui est faible, en est souillée. Ce n'est pas un aliment qui nous rapproche de Dieu : si nous en mangeons, nous n'avons rien de plus ; si nous n'en mangeons pas, nous n'avons rien de moins. Prenez garde, toutefois, que votre liberté ne devienne une pierre d'achoppement pour les faibles.
Je vous l'ai dit, j'ai volontairement paraphrasé ce texte, car notre foi en Jésus-Christ, nous permet d'aller bien au-dessus des traditions humaines.
Comme l'a souligné notre pasteur dimanche, notre foi en Jésus-Christ nous a conduits un jour à avoir une rencontre personnelle avec lui. Certes pas à Bethléem comme les mages, mais lors de cette rencontre de foi, nous lui avons remis bien inconsciemment trois cadeaux empoisonnés pour qu'Il les transforme en miséricorde, grâce et salut.
- Oui nous avions notre or maudis de domination, de corruption, de perversions de l'économie des richesses qui prime sur l'humain, d'un pouvoir pour les uns et d'un esclavage pour les autres. Ainsi nous lui avons remis cet or empoisonné pour qu'il le convertisse et qu'il le transforme à sa gloire.
- Nous lui avons remis l'encens de notre incrédulité, celui de la religion, des superstitions, de l'occultisme, de l'astrologie, qui ne sont que des esclavages et des oppressions, bref tout un pouvoir des ténèbres. Ainsi en les remettant à Jésus, toute croyance pervertie, fausse religion, mauvais esprits sont désormais entre ses mains pour qu'il nous en libère et nous en déprogramme.
- Nous lui avons aussi remis notre myrrhe de la souffrance et de la mort, cette myrrhe qui touche autant notre psychisme que notre physique, qui touche aussi les différentes maladies, les injustices liées aux guerres, aux génocides, aux catastrophes individuelles ou collectives. Là encore, en remettant à Jésus, le fardeau de nos blessures diverses souvent si lourdes à porter, nous faisons l'expérience de foi qu'il est bien là au coeur de notre vie et qu'il nous conduit par un autre chemin, un autre parcours, une autre vie, celui de la vie éternelle avec lui.
Amen !